Le village kabyle
Les Kabyles vivent encore
groupés en villages généralement assez importants, pouvant atteindre
plusieurs milliers d'âmes et ne descendant que rarement au-dessous de
cinq cents, et bâtis sur les pitons de montagnes ou sur les sommets de
mamelons séparant les vallées. Qu'ils soient de forme allongée ou
circulaire, ils ont été conçus de façon à pouvoir être efficacement
défendus, du moins avant que l'artillerie ne fasse son apparition. Ils
portent le nom de touddar, pluriel de taddart (vie, du radical dr,
vivre, que l'on retrouve avec ce sens dans tous les dialectes
berbères). Les maisons, toutes en dur, généralement sans étage,
couvertes de tuiles rouges, s'écrasent les unes sur les autres au point
que, vues de loin, elles donnent l'impression de n'en former qu'une
seule, immense. Le village, zébré à l'intérieur par de nombreuses
impasses, souvent taillées dans le roc, n'ouvre sur l'extérieur que par
deux ou trois rues. Il est très rare qu'il soit entouré d'une muraille.
Sans doute se modernise-t-il chaque jour, mais, dans l'ensemble, son
visage n'a pas changé.
Il y a un peu plus d'un siècle, ce village
constituait une unité politique et administrative complète, un corps
qui avait sa propre autonomie. Il était administré par une assemblée
(djemaa) composée de tous les citoyens en âge de porter les
armes ; elle assurait le respect des règlements en vigueur,
abrogeait les anciens et en édictait de nouveaux si le besoin s'en
faisait sentir ; elle décidait de l'impôt et de la guerre,
administrait les biens de mainmorte et exerçait sans partage le pouvoir
judiciaire. Par délégation, elle se déchargeait de l'exercice de ces
pouvoirs sur un chef de l'exécutif appelé, suivant les régions, lamin
(homme de confiance), amukran (ancien, dignitaire), ameksa (pasteur),
élu par tous les citoyens majeurs réunis en assemblée plénière. Il
présidait la djemaa, assurait la mise en application de ses décisions
et préparait les affaires à lui soumettre. Il était assisté dans ses
fonctions par un oukil et des tamen. L'oukil, généralement recruté au
sein du parti hostile à celui du lamin, gérait la caisse publique et
contrôlait les agissements du chef de l'exécutif. Les tamen
(mandataires) étaient désignés par les fractions du village pour les
représenter dans les réunions restreintes et faire appliquer les
décisions de l'assemblée, qui étaient prises en réunion plénière après
des débats où toutcitoyen, sans distinction de condition sociale,
pouvait émettre et défendre ses opinions sur tel ou tel problème,
proposer des solutions, voire s'opposer à l'exécutif. La continuité de
cette organisation politico-administrative était assurée par les
kanoun, sortes de chartes dont certaines dispositions fondamentales
doivent remonter aux temps les plus reculés. Bien que non écrits, ils
représentaient l'autorité matérielle la plus élevée et prenaient le pas
sur la religion même.
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